Le débat lancé par un internaute sur la vente du yellowcake nigérien ignore délibérément l’essentiel : cinquante années d’exploitation inégale par la France, des prix imposés au Niger très en dessous du marché, et une dette environnementale immense laissée par Areva/Orano à Arlit et Akokan. Les faits sont pourtant clairs et parfaitement documentés.
Le Sénat français lui-même reconnaît que l’uranium nigérien a fourni jusqu’à 30 % du nucléaire civil français et 100 % du militaire (Sénat, Rapport 2013 « L’Afrique est notre avenir »). Oxfam a démontré que, pour une valeur d’exportation d’environ 2,3 billions FCFA, l’État nigérien n’a reçu qu’environ 300 milliards FCFA, soit à peine 13 % (“Areva au Niger”, Oxfam). Et quand le marché mondial atteignait 95 USD/livre, Areva payait au Niger seulement 38 USD (World Nuclear News ; Reuters archives 2007). Pendant que la France bénéficiait d’un uranium stratégique, le Niger restait l’un des pays les plus pauvres du monde. Ce déséquilibre structurel, l’internaute se garde bien de le rappeler.
Il évite aussi de mentionner les pollutions. La CRIIRAD et Greenpeace ont démontré dès 2010 que l’eau d’Arlit dépassait les normes de l’OMS en uranium, obligeant finalement à fermer plusieurs puits contaminés (CRIIRAD/Greenpeace, 2010). Une étude universitaire de 2023 confirme la contamination des nappes par les déchets de la SOMAIR, et Afriques XXI, en 2024, cite des documents internes d’Areva révélant des pollutions plus importantes que déclarées. FTM.eu parle même en 2024 du “versant sombre” de l’exploitation d’Arlit. Le Niger a donc des raisons économiques, sanitaires et souveraines de reprendre en main ce secteur stratégique.
Concernant la décision du CIRDI du 23 septembre 2025, Orano a effectivement obtenu une ordonnance provisoire interdisant le transfert du stock litigieux, comme le reconnaît son communiqué du 26 septembre 2025, confirmé par Reuters. Mais il s’agit d’une mesure conservatoire, et non d’un arrêt définitif. Cette ordonnance intervient d’ailleurs dans le contexte d’une nationalisation de la SOMAIR, après que les autorités nigériennes ont accusé Orano de comportement “irresponsable et illégal” (AP News, 2025). L’arbitrage est en cours, rien n’est jugé, rien n’est tranché.
En droit international, le Niger n’agit pas en marge de la loi. Au contraire. La Résolution 1803 des Nations unies (1962), adoptée par l’Assemblée générale, consacre la souveraineté permanente des peuples et des nations sur leurs richesses et ressources naturelles. Elle affirme clairement que chaque État a le droit de disposer librement de ses ressources, d’en fixer les conditions, d’en nationaliser la gestion et d’en décider la commercialisation à qui il veut. Cette souveraineté prime sur tout contrat ou engagement contraire aux intérêts nationaux. Le Niger est donc dans son droit le plus strict.
S’agissant du paiement en or ou en liquide, cela relève d’une précaution nécessaire. Beaucoup d’États ont déjà vu leurs avoirs gelés dans les banques occidentales lors de crises politiques ou de litiges. Un exemple frappant est celui du Venezuela, dont 31 tonnes d’or conservées à la Bank of England ont été gelées en 2020. De la même manière, la Libye a vu des dizaines de milliards d’actifs gelés en 2011 dans les banques européennes et américaines. Ces précédents suffisent à comprendre pourquoi un État prudent évite désormais les circuits financiers vulnérables aux pressions. Le Niger, qui a subi le gel partiel de ses avoirs en 2023, sait mieux que quiconque ce que signifie ce risque.
Il faut également rappeler que ces juridictions d’arbitrage comme le CIRDI structures créées dans le cadre de l’ordre économique international dominé par l’Occident ont historiquement servi à protéger les investissements occidentaux, pas les intérêts africains. Pendant des décennies, ces mécanismes ont systématiquement favorisé les multinationales contre les États du Sud, punissant ceux qui osaient renégocier des contrats injustes ou reprendre le contrôle de leurs ressources. Aujourd’hui cependant, le monde n’est plus unipolaire. La montée des puissances émergentes, la diversification des alliances économiques et l’affaiblissement du contrôle exclusif de l’Occident sur les flux financiers font que l’Occident ne décide plus seul sur l’échiquier mondial. Les États ont désormais des options multiples, des partenaires alternatifs, et une marge de souveraineté industrielle et financière qu’ils n’avaient pas il y a vingt ans.
Dans ce contexte multipolaire, exiger un paiement en or ou en numéraire n’est ni un caprice ni un signe de panique : c’est la décision logique d’un État qui refuse de laisser ses richesses à la merci des saisies politiques. C’est ce que fait tout pays souverain quand il sait que certains acteurs utilisent le système bancaire international comme levier d’ingérence.
La vérité est simple : le Niger ne viole pas le droit. Il exerce pleinement son droit souverain, reconnu par l’ONU, de disposer de son uranium, d’en contrôler la vente et d’en retirer enfin un bénéfice digne des souffrances que ce minerai lui a imposées. L’internaute offre un récit intéressé, qui protège l’image d’Orano, mais ignore les faits les plus essentiels. Les Nigériens ont le droit et désormais les moyens de reprendre la maîtrise de leur propre richesse. C’est cela, la réalité. C’est cela, la souveraineté.
Par Ousmane Jazy, Ingénieur et Analyste nigérien
Article publié le lundi 1 décembre 2025
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