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Paule Doyon - / HOU - HOU
01/11/2002
 

 

   Ce qui chagrinait le plus Hou - Hou  le petit fantôme¸ c’est que personne ne le voyait. Il était d’une transparence totale, d’une invisibilité parfaite et ça causait son malheur. Il lui manquait la paille : la tâche lumineuse qui aurait trahi sa présence dans le noir. Si seulement il était demeuré en Angleterre ! Au pays des fantômes sa solitude aurait été moins grande. Au Canada personne ne croyait aux fantômes. Ce n’était pas dans les mœurs. Ça ne faisait pas partie de l’éducation. 

   Hou - Hou se morfondait en vain. Ouvrait-il une porte,  (les portes ne s’ouvrent pas toutes seules quand même ? ) On la refermait sans se poser de questions. Un jour il ouvrit trois portes ! On accusa les courants d’air…

    Il avait noté que l’horloge du vieux buffet était détraquée. Il l’actionnait de temps en temps et un tic tac insolite rompait alors le silence de la maison où il s’était installé. L’inquiétude avait d’abord pointé dans les yeux des occupants. Mais ça s’était vite étiolé faute de preuves.

   Un autre jour il avait fait craquer tout un mur. Plutôt que la terreur, il récolta des rires et de folles récriminations contre le chaud, le froid, les contractions du bois et autres balivernes. Il en pleura de colère. Une grande mare d’eau se répandit. Enfin ça se verrait !  Mais le pompier accourut, dénonça un tuyau et rendit les larmes de Hou - Hou absolument vaines.

     Une nuit, il fit comme aurait fait son grand-père, un fantôme comme il ne s’en fait plus, un vrai de vrai ! Il  avança lentement, fantasmagoriquement, sur les notes blanches du piano noir. Retentirent, claires à ne tromper l’oreille de personne, les sept notes de la gamme dans le silence mat de la nuit. Toutes les lampes s’allumèrent. Un grand cri le sidéra lui-même. Enfin ! il avait réussi à affoler tout le monde ! Hélas ! il avait encore une fois compté sans le chat…

    Rien à faire ! se dit Hou- Hou, le décor ne s’y prête pas. Il manque ici l’atmosphère macabre des châteaux anglais : des caves suintantes, de longs couloirs obscurs, des passages secrets, de grandes salles glacées où vacillent les flammes lugubres des lourds candélabres. Il faudrait des jardins hisurtes avec des feuillages noirs que le vent échevelle. Des remparts d’ombre, des portes qui grincent pendant qu’une lune blafarde tourne dans le ciel son œil épouvanté…Avec l’électricité qui illumine d’un coin à l’autre les murs aux couleurs chaudes de ces maisons sans mystère, aucun fantôme ne peut accomplir un travail sérieux !

    Quelle folie d’être immigré dans ce pays où un fantôme n’a aucun espoir d’être reconnu ! Pourtant l’annonce mentionnait bien :  « Le Canada a besoin de vous !  le Canada a besoin de gens possédant un solide métier ! » Si après trois cent ans on ne possède pas son métier… «  Vous serez étonné par le confort des maisons facilement accessibles à tous  »  Conquis, Hou - Hou survola l’Atlantique sur les ailes d’un Boeing  d’Air Canada et atterrit à Montréal. Fatigué, il entra dans la boutique d’un antiquaire et la larme à l’œil s’endormit dans un fauteuil  Reine Anne.

   Quand il s’éveilla, son fauteuil avait été transporté dans cette joyeuse maison où il s’exténuait depuis à essayer d’effrayer les occupants - indifférents à sa présence - mais passionnés par les histoires de fantômes de la télévision. Race inculte ! Furieux, Hou- Hou fonçait sur l’écran du téléviseur qui n’en continuait pas moins de divaguer. Il arracha donc l’antenne sur le toit. Mais encore là un orage vint revendiquer le méfait. C’en était trop ! Hou -Hou sortit en claquant la porte alors qu’il aurait très bien pu passer au travers.

  Au dehors le temps était beau. Pas de brouillard. – Quel climat malsain ! fit Hou – Hou en frôlant les seins d’une jeune fille. Un passant écopa d’une gifle. La pluie s’obstinait à ne pas tomber. Le temps serait encore superbe le lendemain avec un sale soleil. Il s’abstint de penser à l’hiver : blanc sur blanc¸comment espérer être vu sur la neige ? Comme il regrettait l’Angleterre ! découragé il se laissa choir  sur un banc… « Aie! l’étranger ! assis-toi pas sur Médé » Surpris, Hou - Hou se dit que la voix devait s’adresser à un autre que lui. Mais la voix repris : « Tu vois donc pas que je suis là ! tu bois un coup ?» Le vieil ivrogne lui tendait un flacon…

- Vous me voyez vraiment ? demanda Hou - Hou, incrédule.

- Sûr que je te vois, t’as failli m 'écraser…prends une gorgée, c’est du véritable whisky anglais !

-- Et vous savez que je suis anglais ?

- - Si je le sais ? ben voyons…tous les fantômes sont anglais !…hic prends une gorgée... bois !  Hou - Hou ahuri, saisit la bouteille et la vida. Il se sentit venir tout chaud en dedans. Ça ne lui était jamais arrivé, il était toujours glacé. Aussi il se mit à   rire…puis, à pleurer…- tu me vois vraiment ? vraiment ? hic…

- Si je te vois ! t’es là…et l’ivrogne pointait un doigt tremblant en riant aux éclats vers l’endroit où Hou - Hou titubait…

Hou - Hou sanglotait, un petit sanglot sourd qui se défaisait en un cliquetis de chaînes que l’on traîne… - je ne pourrai plus retourner en Angleterre…hic…j’ai parlé…hic… un fantôme ne doit pas parler…L’ivrogne avait sorti un autre flocon de sa chemise et lui tendait…-  hic…t’as parlé…et puis après ? t’as été poli…bois ! ta femme te défendrait-elle de parler ?

-       …hic…c’est toute la famille ! c’est interdit de parler… for… formel … formellement ! À part les spectres - rares depuis Shakespeare - un fantôme ne peut utiliser le langage humain sans être expulsé du syndicat des fantômes unis. Plus de châteaux à hanter !…plus jamais ! hic…

- - hic…fit l’ivrogne en fixant l’arbre en face de lui, tu m’as parlé, et après ? parler à un fantôme, à un éléphant, ou à une souris…quelle différence ? hier j’ai causé avec un ver de terre…il m’a raconté sa vie. Il s’appelait Sam…personne  m’a cru…delirium tremens !…ils parlent en latin pour pas que je comprenne qu’ils disent que je suis fou…hic

-  - Delirium tremens…fit Hou- Hou, brusquement dégrisé, il ne m’a donc pas vu…personne ne peut me voir…et il se remit à sangloter…l’ivrogne sur son banc continuait de marmotter et Hou - Hou le quitta encore plus déprimé.

Hou - Hou marchait, inconsolable, dans la nuit qui s’épaississait. Un petit vent   siffla lugubrement à ses côtés pour le consoler. La lune louvoyait derrière un voile de nuages. Sous le ciel devenu sinistre se dressa tout à coup  devant Hou - Hou stupéfait une masse hérissée de pointes et bossue de tourelles comme un vieux château anglais !

- Un château ! s’écria Hou - Hou, un château ! incroyable ! Sans plus tarder il traversa le solide mur de pierre pour se plonger dans l’atmosphère lugubre d’une longue salle où s’alignaient des centaines de bancs sombres. Une mince flamme frissonnait à l’avant, projetant des lueurs de sang sur les images cadavériques suspendues aux murs. Hou - Hou y distinguaient des personnages déformés dont les robes pâles créaient l’illusion de lémures aux visages livides tournés vers la voûte sombre. Hou - Hou était ravi.

   Il fit joyeusement le tour du propriétaire. Quel endroit parfait ! Tout

 s’y trouvait :coins ténébreux, bruits angoissants, mystérieuses portes

 de cuivre sombre, nappes blanches que la noirceur rendait terreuses,

 cadavériques parfums d’encens. Il tournoya  jusqu’au creux noir de la

 voûte et retomba assis sur la balustrade du jubé. De là il contempla

 l’effrayante noirceur qui s’étendait sous lui. Terrifiant !

Surnaturel ! et sépulcral ! Dès le lendemain il télégraphierait à sa

 famille :

« trouvé lieu somptueux. stop. mieux chauffé que château anglais. stop. aussi désert.stop. occupé seulement par organiste, lequel confond  soupirs  bruits de chaînes, et battements d’ailes de chauves – souris. stop. Canada pays sous-développé point de vue fantômes. stop. venez en grand nombre. stop. bons baisers. stop.    Hou - Hou.

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