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Paule Doyon - / Enfance en Abitibi
01/11/2002
 

J'avais seize ans. Et c'était comme si j'étais déjà vieille. Trop vieille pour avoir ma vie en avant. Derrière moi s'étendait un long passé. Dans un pays vide plein d'hivers entassés. La neige me voilait la vie de chaque chose. L'avenir était froid comme un lac gelé. Sur la glace du temps je rêvais d'un lieu où le monde serait chaud. Et je tremblais toute seule dans mes tempêtes sans fin. Dans un pays vaste comme un cœur sans histoire. Où les nuits appartenaient toutes aux étoiles. Parfois j'entendais passer des sons, dans ce pays muet où éclataient les clous. Petites bombes du fer dans le bois des maisons. Dans ma tête gémissaient les voix sans mots des animaux condamnés. Je pleurais sur tous ceux que l'aurore allait frapper, quand les grands trains de fer entraîneraient leur vie jusqu'au bout de la mort. Je savais la terre tourner sur elle-même, s'étourdir autour du soleil pour ne rien voir de la vie trop près de la mort. Je sentais la peur courir dans mes veines. Petites cavernes qui menaient au cœur, où tout était sombre comme mon avenir sans fenêtre. Autour de moi les faisceaux des triages… et les bruits terribles des trains dans mon corps. J'ignorais encore que la poésie est ce qui sauve l'enfant dans la nuit où les trains s'accouplent en un orgasme de fer. Et toujours j'avais peur de la mort qui ombre chaque pas de la vie. Comme l'ombre sur la neige des lampes des serre-freins dans la nuit. Comme l'enfance est dure à l'enfant qui essaie d'apprivoiser son corps. Je me souviens des trains verts, du train qui attend, du train qui part et demain revient. De l'enfance de mes peurs. Des halètements des locomotives au bout de la nuit. Des mécaniciens aux regards crasseux qui racontent des chimères que mes seize ans écoutent comme des vœux. Des mensonges d'amour où tacataquent des roues... mais celui qui ment est aussi celle qui écoute quelque part en son âme s'agiter la folie. Le monde est si vaste qu'un enfant s'y perd. À travers les mots comme à travers les rames des trains dans le noir de la nuit. Les monstres du sang roulent sur des veines d'acier tard dans la vie où flottent des restes de fumée. J'avais seize ans. Mes désirs entre deux voies... l'enfance et l'avenir hésitaient. Deux rails à  l'infini s'étendaient. Je ne savais pas encore ce qu'allait être ma vie. Je ne savais pas encore que ce qui sauve est la poésie…Mon corps me fuyait comme si j'étais une autre. Une vapeur en train de se dissiper. J'avais peur de n'être qu'une étoile dont on sait bien qu'elle n'est plus là. J'entendais rouler les trains solides sur leurs rails. Moi qui craignais de m'envoler en fumée. J'essayais de refermer mon corps resté ouvert et par où mon âme pouvait s'évanouir… De chaque côté de moi passait la vie comme le train passe en un ruban brumeux. Je m'agrippais à tous les sons du monde comme une poignée pour retenir mon corps trop léger pour que la vie le sente. J'avais tant mal que la terre ne m'appartienne pas. Je ne savais pas encore que la poésie est ce qui pèse... ce qui donne à l'être son poids. Les poètes sont comme les trains de fer. Ils roulent dans la vie sur des rails fondus. Les pensées de la lune trient leur vécu comme un faisceau d'étoiles. À travers des pays cosmos, ils roulent leurs wagons de vers…

tous droits réservés - Paule doyon, mai 2001

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